Interview

Un entretien avec le Pasteur Manico Jimenez

Un tapis persan

Cette interview parue en 2000 dans la revue « Les Documents Expériences » du Centre Missionnaire (Carhaix – Bretagne), est publiée avec la fraternelle autorisation du Pasteur Yvon Charles – fondateur du Centre Missionnaire et grand ami du Pasteur Manico – ainsi que celle du Pasteur Samuel Charles – pasteur adjoint et fils du fondateur.

Comment le réveil parmi les Gitanos est-il né ?

«Il est lui-même né du réveil de Pentecôte. Mon neveu, qui s’est converti et m’a témoigné de sa conversion, a été pasteur des Assemblées de Dieu jusqu’à sa mort.

C’est auprès de ce mouvement de Pentecôte que j’ai commencé ma marche avec Dieu, avant de connaître la «Mission Tzigane Vie et Lumière» et le pasteur Clément Le Cossec, son fondateur.

Je me souviens, par exemple, avoir suivi des réunions d’une assemblée que le pasteur Yvon Charles tenait à Morlaix, en Bretagne. Puis, quand le réveil a commencé parmi notre peuple gitano, nous avons contacté, puis intégré la «Mission Tzigane Vie et Lumière», vers 1966.  Le réveil s’est propagé autour de Bordes, de Tartas, et depuis il s’est répandu dans tout le «grand sud» de la France, de Biarritz jusqu’à près de Marseille.

Nous avons beaucoup travaillé avec la «Mission Tzigane», dont j’ai fait partie du Comité de direction, et au sein de laquelle j’ai été coordinateur mondial pour les peuples de langue espagnole, jusqu’en 1981.

Nous avons eu et avons toujours de relations très fraternelles avec les Gitanos d’Espagne, qui se sont organisés par eux-mêmes.»

Quels ont été, pour vous qui en avez vécu la naissance puis la croissance, les faits et les traits marquants de ce réveil parmi les Gitanos ?

«Je ne parle là effectivement que des Gitanos, et non de l’ensemble du réveil parmi les Tziganes, et la «Mission Tzigane Vie et Lumière»…

Le fait marquant a été de voir des gens d’un peuple aussi profondément ancré dans ses traditions, sa religion dont l’origine se perd dans la nuit des temps et dont rien ne pourrait les faire sortir, avoir soudain leur vie transformée par l’Évangile, bouleversée par leur rencontre avec le Christ : les fraudeurs, les menteurs, les pratiquants de la Vendetta, dont la haine était là, enracinée dans le cœur, ont été totalement changés par l’Évangile !

Cela a été des explosions de joie de voir ce que le Christ fait encore aujourd’hui !»

Vous avez vécu un vrai réveil ; quelles sont pour vous les marques de tout authentique réveil ?

«La transformation totale des vies, marque de la nouvelle naissance produite par Dieu dans les cœurs.»

Qui sont les Gitanos ? Voudriez-vous présenter, en quelques mots, l’histoire et les principales coutumes de votre peuple ?

«Contrairement aux autres grandes branches tziganes : Manouches, Yéniches et Roms…, les Gitanos habitent tous dans des maisons et n’utilisent la caravane que pour des voyages ponctuels.

Tous les Gitans – les Gitanos comme nous nous nommons nous-mêmes – viennent d’Espagne où ils ont demeuré pendant de longs siècles très probablement. Les uns sont venus il y a deux cents ans, d’autres cent ans, d’autres encore cinquante ans…

Leurs principales valeurs sont le respect absolu des anciens, la droiture entre Gitanos, et la virginité de la jeune fille ; elles ne flirtent pas. C’est toujours le père ou le frère aîné du garçon qui vient demander la main de la jeune fille pour le mariage… Suivent les fiançailles, puis les noces. Chez les Gitanos inconvertis, les 3/4 se marient à la mairie aujourd’hui. Parmi nous, c’est obligatoire, sinon nous ne faisons pas le mariage gitano.

Tous ces aspects sont particulièrement importants chez les Gitanos.

Autrefois, ils étaient tous dans le négoce de chevaux. Mon père était un grand négociant en Béarn et Pays basque. Il fournissait l’armée française en mules et mulets avant la guerre 14-18…

Puis quand le tracteur a progressivement remplacé le cheval dans les campagnes, pratiquement tous les Gitanos se sont mis au commerce d’étoffes, de draps etc… et à faire les marchés. Une minorité a commencé à travailler en usine etc… Il en était de même en Espagne. Mais seuls ceux qui font le porte à porte sortent de la région ici.»

Les Gitanos étaient-ils peu touchés par l’Évangile avant ce «réveil» ?

«Ils ne l’étaient pas du tout ! Ils avaient leur religion, leur tradition, surtout marquée par un catholicisme très rituel, avec notamment un culte des morts très fort. A la Toussaint, chaque gitan mettait des dizaines de cierges pour ses défunts, invoquait ceux-ci en toute occasion etc…

Ils louaient un hangar à quelques-uns pour y placer des centaines de cierges à la Toussaint par exemple…

C’est pourquoi, il était extraordinaire de les voir se tourner de tout leur cœur vers le Dieu vivant et vrai quand je leur annonçais l’Évangile, de voir des larmes couler de leurs yeux quand ils demandaient pardon à Dieu, et de les voir se détourner de ces traditions ancestrales dont eux-mêmes disaient auparavant que ceux qui les abandonnaient étaient des maudits, des hérétiques qui n’avaient plus droit à la vie ! Cela a été la plus grande joie de ma vie.»

Comment, dans la pratique, se déroule la vie de l’Église parmi vous ?

«Nous avons construit la plupart de nos propres églises. D’autres sont louées. Dans toutes, se tiennent trois réunions hebdomadaires «officielles», le culte et deux réunions d’évangélisation, auxquelles s’ajoutent en général deux réunions de prière, ce qui fait cinq par semaine, en réalité.

Les chrétiens sont très fidèles à toutes ces rencontres. Quelques «sédentaires» se joignent à nos assemblées.

Et nous avons de très bonnes relations avec les églises pentecôtistes des sédentaires. Des pasteurs me demandent souvent d’aller participer à des «missions». Les «pionniers» sont restés des amis fidèles.»

Comment la formation des prédicateurs est-elle assurée ?

«Une fois que le pasteur est sûr de l’appel du candidat, du sérieux de sa vie : de sa conversion, de sa marche avec Dieu, de sa consécration, de son travail… on éprouve ce dernier pendant un temps encore. Puis, il part pour deux sessions de formation à l’école biblique de la Mission Tzigane «Vie et Lumière».»

Aujourd’hui, près de 40 ans après, quel bilan, quel enseignement pouvez-vous tirer de ce réveil ?

«Le bilan c’est qu’aujourd’hui beaucoup de Gitanos de ce sud de la France se sont tournés vers Dieu, et que beaucoup d’autres le font encore. Le Seigneur ajoute à son Église, sans arrêt depuis cette époque, des âmes sauvées.

Et l’important pour moi, c’est que ce peuple continue à marcher dans les «voies de Dieu», selon sa Parole, en ces temps difficiles. Il n’y a pas de plus grande joie pour moi que de savoir que tous ces «enfants de Dieu» marchent dans la vérité.»

Quelles ont été vos peines et vos difficultés tout au long de ces décennies de ce ministère ?

«J’ai vécu des moments difficiles après ma conversion, quand j’ai commencé à prêcher l’Évangile : j’ai été rejeté, mis à l’écart par mes meilleurs amis et des membres proches de ma famille… cela a été une souffrance.

Mais quelle joie d’avoir vu par la suite la plupart d’entre eux venir à Dieu !

Dans l’exercice du ministère, les peines ont été de voir des chrétiens s’en retourner «dans le monde», et d’autres, qui sans apostasier, se mettaient à avoir un cœur partagé, quelques années après, s’adonnaient à la télévision à nouveau… et j’ai constaté que leur vie spirituelle se dégradait. La télévision vole leur temps de culte de famille du soir, elle vole l’atmosphère familiale…»

Quelles joies ont jalonné votre cheminement de serviteur de Dieu ?

«Mon père était un homme très considéré. Il était le médiateur parmi les gitans : on faisait appel à lui pour résoudre tous les problèmes, les litiges, les conflits…

Il était profondément pieux dans son catholicisme rituel, capable de réciter son chapelet sans arrêt pendant un voyage de 500 kilomètres… Si bien qu’en entendant dire que des gitans s’étaient convertis à Jésus-Christ, il a voulu les expulser du pays ! Il a voulu pour cela aller à Paris, au Ministère, où il avait ses entrées, ayant des amis parmi les conseillers d’États, etc… Il était furieux.

Souvent, connaissant la religiosité sincère mais erronée de mon père, j’ai prié pour lui avec larmes : «Seigneur, père est âgé, tu le connais, il croit sincèrement être dans la vérité… Je t’en supplie, qu’il connaisse la Vérité, qu’il te connaisse, toi le seul vrai Dieu, et soit sauvé, avant qu’il quitte cette terre… !»

Et un jour, alors que j’étais toujours en Bretagne, à Plestin-les-Grèves dans le Finistère, j’ai eu sous les yeux une revue évangélique… Là, sur une photo de baptême, quelle a été ma joie de voir mon père et ma mère se faisant baptiser ! C’est ainsi que j’ai su qu’ils s’étaient convertis, car nous n’avions pratiquement plus aucun contact… Cela a été l’une des plus grandes joies de ma vie, parce que je pensais qu’il était presque impossible que lui se convertisse. Je connaissais sa haine contre les chrétiens évangéliques.

Mon père a quitté cette terre en priant en langues ; j’étais à son chevet et je l’ai entendu.»

Quels sont aujourd’hui vos soucis ?

«J’ai toujours cette crainte que l’apostasie entre dans nos églises, qu’elles prennent exemple sur d’autres, que je ne nommerai pas, où l’obéissance à la Parole de Dieu n’est plus. On le voit à certains signes…

Car je vois, surtout depuis quelques années, que le «monde» menace d’entrer…

C’est mon grand souci.

C’est pourquoi je bénis Dieu pour les visites d’hommes de Dieu comme le pasteur Yvon Charles, qui ramènent toujours à la source de la Parole de Dieu, et de ce que je ne sois pas le seul à le faire, mais que d’autres, qui sont bien au-dessus de moi le fassent aussi. Et je vois que le peuple en est marqué.»

Parmi les hommes de Dieu que vous avez rencontrés au cours des ans, quels sont ceux qui vous ont le plus marqué et vous ont été particulièrement en bénédiction ?

«Douglas Scott ; Ove Falg… le frère Aguila, au début. Et je bénis Dieu d’avoir connu Yvon Charles.»

Qu’est-ce qui vous paraît essentiel pour que le réveil ne meure pas, et pour que l’Église demeure vivante ?

«Demeurer dans la Parole de Dieu. Mener une vie de consécration et de prière dans l’Église. Demeurer dans l’unité fraternelle, et vivre au maximum ensemble pour s’entretenir des choses de Dieu. Que les serviteurs de Dieu soient fidèles dans l’instruction et l’enseignement.»

Comment envisagez-vous l’avenir de ce mouvement ?

«De tout mon être, je souhaite qu’il s’étende et reste dans une fidélité totale à Dieu.»

Quel regard portez-vous sur la situation et l’évolution du christianisme depuis ces dernières décennies ?

«S’il me fallait résumer cela en un mot, je dirais : une catastrophe ! J’ai connu des églises, il y a 33 ans, où Dieu régnait ; c’était un peu le ciel dans l’église…

J’y suis retourné dernièrement. Je ne les ai pas reconnues…

Elles n’ont plus rien à voir avec autrefois : c’était l’Église. Aujourd’hui c’est le monde !

Je ne voudrais faire de mal à personne, mais c’est la réalité.»

(Document Expérience n°119)

Les Documents "Expériences"

« Conçue, rédigée et éditée au Centre Missionnaire Évangélique de Bretagne, à Carhaix, la revue Les Documents «Expériences», est née en 1970…

Cette « aventure de la foi » comme aime à le dire le pasteur Yvon Charles, rédacteur en chef de la revue, avait commencé au début des années 60 de la rencontre, du pasteur Clément Le Cossec et du pasteur-journaliste Yvon Charles. »

(Centre Missionnaire de Carhaix)

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